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Une Géolienne dans l'Espace ?

07 septembre 2022 Association
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Une Géolienne dans l'espace ? - Interview avec Marine Joulaud

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

 

Je m’appelle Marine Joulaud, j’ai 23 ans et je suis issue de la promotion 2021 (Jean-Claude SAMAMA) de l’ENSG. Étant petite, je rêvais d’être archéologue. C’est au collège que j’ai découvert ma passion des volcans et plus largement de la géologie. Je suis restée dans l’histoire mais à une échelle différente ! Pour poursuivre mon projet professionnel, j’ai décidé de faire une prépa BCPST (Biologie, Chimie, Physique, Sciences de la Terre) au lycée Fénelon à Paris, qui m’a permis d’intégrer sur concours Géol Nancy en 2018. Dès lors, j’ai choisi dés le début un parcours orienté vers la recherche. Le plus dur était de savoir en quoi. Les différentes conférences de Mardi de Géol du premier semestre m’ont beaucoup aidée à m’orienter puisque j’y ai rencontré Dr. Jessica Flahaut (Chargée de recherche CNRS au CRPG, Nancy), qui m’a fait découvrir la planétologie et ses travails sur Mars et la Lune. Je suis alors tombée amoureuse de cette discipline !

En 2e année, j’ai intégré le parcours principal Matières Premières Minérales et le parcours secondaire SIG/Télédétection/Traitement d’Images. En parallèle, j’ai eu la chance de travailler en projet de laboratoire avec Jessica sur la sélection de sites d’atterrissage et trajets d’exploration au pôle sud de la Lune, pour le projet de rover LUVMI-X par l’entreprise belge Space Applications Services. Ce projet labo a d’ailleurs été suivi par un stage d’été dans l’entreprise ! En 3e année, j’ai décidé de faire une année de substitution grâce au Master « Terre & Planètes » (TP) de l’Université de Lorraine, durant lequel j’ai pu continuer mes travaux lunaires avec Jessica Flahaut et Evelyn Füri. 

Pour résumer : je suis apprentie chercheuse en planétologie et plus précisément l’exploration et la géologie lunaire !

 

Que fais-tu depuis que tu as été diplômée de Géol ? 

 

Comme dit précédemment, j’ai manifesté un grand intérêt pour la recherche et le milieu académique depuis longtemps. Pour moi, la thèse était une évidence après le Master TP. Après avoir réalisé mon stage de master avec Jessica, et en commençant mon PFE avec Pr. Pascal Allemand au Laboratoire de Géologie de Lyon : Terre, Planètes, Environnement (LGL-TPE), nous avons tous les trois décidé de proposer un sujet de thèse au concours de l’école doctorale Physique & Astrophysique (ED PHAST) de l’Université Claude Bernard Lyon 1 (UCBL1). 

Mon dossier a été sélectionné pour l’oral en juin 2021 et j’ai eu la chance de finir première du concours ! J’ai donc commencé ma thèse en octobre 2021 sur le sujet suivant : la caractérisation multi-échelle des régolites de la Lune et Mercure par imagerie et modélisation numérique. Pascal Allemand est mon directeur de thèse et m’encadre avec l’aide de Jessica Flahaut, Evelyn Füri et Vincent Langlois. Je fais donc une thèse à cheval entre Lyon (LGL-TPE) et Nancy (CRPG). 

Pour résumer, ma thèse cherche à caractériser la surface de la Lune et Mercure, deux corps planétaires sans atmosphère. Puisqu’ils n’ont pas d’atmosphère, ces deux corps sont sujets à des procédés d’altération de la surface différents de la Terre (érosion par le vent, la pluie, etc.) : ils interagissent directement avec l’environnement spatial. Ils ne sont pas protégés et subissent donc des impacts météoritiques, des bombardements de vents et rayons solaires, mais aussi de rayons cosmiques (plus loin dans l’univers). Ces procédés forment ce que l’on appelle le régolithe : la couche superficielle fragmentée et non-consolidée qui recouvre quasi l’entièreté de la Lune. Mon but est donc de combiner les données orbitales (issues des satellites ayant été ou étant en orbite autour de la Lune et Mercure) et in situ (données des rovers et missions sur la Lune) pour les comparer à des modélisations de cratères d’impact afin de mieux comprendre comment sont organisés les premiers centimètres et premiers mètres de ces surfaces ! D’un point de vue plus global, cela nous permettrait d’en savoir un peu plus sur l’origine, la formation et l’évolution des corps planétaires dans le système solaire !

 

Pourquoi avoir sollicité le soutien de l’Association ?

 

Lors de ma remise de diplôme, l’Association avait été présentée par l’ancien président, Jean-Jacques Biteau. Jusqu’ici, je n’avais pas réellement compris l’impact que cette association avait et à quel point elle pouvait être importante pour la communication entre les Alumni et les élèves. Je ne savais même pas que l’Association pouvait aider financièrement les Géoliens à réaliser des projets. Durant ma scolarité à Géol, j’ai eu la chance de faire partie d’Himalaya Solaire 2019, que l’Association a subventionné. J’ai aussi pu suivre mes ami.e.s partir faire le 4L Trophy, et c’était rassurant de voir que nos projets pouvaient être soutenus. 

Au cours de ma thèse, j’ai postulé à un programme d’été intensif : le Space Studies Program (SSP) de l’International Space University (ISU). Cependant, ce programme a un coût et je devais avancer les frais très rapidement en avril 2022, ce qui n’était pas réellement possible pour moi, malgré le fait que je sois salariée rémunérée. J’ai pu obtenir des aides de la part du CNES, de mon laboratoire et de mon école doctorale afin de m’aider à financer la majorité des frais. Malheureusement, il restait une somme non négligeable à avancer, j’ai donc décidé de faire appel à l’Association des Géoliens. Après un entretien et une présentation de mon projet et de mes projets de carrière, l’Association m’a offert un prêt à taux zero afin de m’aider à avancer les frais, et m’a suggéré différentes pistes afin de récolter les fonds dont j’aurai besoin !

Durant le programme cet été, je n’ai malheureusement pas obtenu toutes les bourses auxquelles j’avais postulées. J’ai donc choisi, comme l’a suggéré l’Association, de lancer un crowdfunding et de faire appel aux dons afin de m’aider maintenant, mais aussi pour mes projets futurs. Le lien est disponible ici : https://www.leetchi.com/c/marine-space-journey

Peux-tu nous en dire plus sur ce programme de l’International Space University ?

 

Le SSP est un programme sur les domaines du spatial, durant 9 semaines super intenses divisé en trois phases. La première se concentre sur des cours magistraux théoriques pendant 4 semaines. Ensuite, on se spécialise durant la seconde phase et on choisit entre 7 disciplines différentes : engineering, applications, human performance in space, humanities, policy/law/economics, business & management, sciences. La dernière phase se concentre sur un projet de groupe durant 3 semaines, à la fin duquel nous devons soumettre un rapport de plus de 100 pages et réaliser une présentation publique d’une heure. Cette année, le SSP avait lieu à Oeiras, au Portugal. Nous étions 92 participants issus de 37 pays. Avec le staff, on représentait plus de 50 pays. Je suis revenue du programme fin août et j’ai à peine eu le temps de digérer tout ce qui s’y est passé. C’est très difficile de raconter brièvement tout ce que j’ai vécu là-bas, parce que c’est une réelle expérience humaine. Bien sûr, les cours et les activités sont incroyables : j’ai participé à une compétition de robots encadré par le Professeur Yoshida (JAXA) ; j’ai aussi fait une simulation d’EVA (extra-vehicular activity) en encadrant des collègues faisant de la plongée sous-marine ; avec 3 autres collègues, nous avons construit une FUSEE, qui a été lancée depuis une base militaire en juillet ; j’ai aussi pu contrôler à distance un robot de l’entreprise Mission Control au Canada, … Bref, les activités étaient époustouflantes. Nous avons eu des cours magistraux de prestigieux scientifiques et ingénieurs de la NASA, l’ESA, etc. (James Green, John Connoly …) et nous avons aussi pu rencontrer trois anciens astronautes ! Soyeon-Yi, la première astronaute sud-coréenne ; Paolo Nespoli, astronaute italien ; Jeffrey Hoffman, astronaute américain de la NASA. Mais ce qui m’a le plus bouleversé et surpris, ça a été de créer des liens profonds et vraiment importants pour moi avec les autres participant.e.s. Nous venions tous.tes de pays et de cultures différentes, et nous devions suivre la même intensité et les mêmes projets en ayant très peu dormi et en étant constamment solicité.e.s. Forcément, il y a eu des accrochages parfois, mais je retiens surtout des expériences humaines époustouflantes. Sur toutes les personnes que j’ai rencontrées, je suis persuadée que je les reverrai toutes un jour. Au détour d’une conférence, en passant dans leur pays, en les accueillant chez moi… Et j’ai découvert des gens avec qui je voulais travailler aussi ! Pas forcément sur ma thèse, mais sur d’autres travaux qui suivent notre projet de groupe. Bref, c’était un grand saut dans le monde du spatial. Bien que j’y travaillais déjà, j’étais limitée à mon domaine, sans réellement comprendre toutes les implications derrière (ingénierie aérospatiale, politique internationale et droit spatial, management, etc.). Ce programme m’a réellement aidé à comprendre comment ma thèse s’inscrivait dans cet énorme océan de savoir. J’ai pu comprendre quelle était ma place en tant que planétologue et chercheuse, mais aussi quel pouvait être mon rôle à l’international. Je suis contente d’avoir pu réaliser ce programme durant ma thèse, car il m’a permis de prendre beaucoup de recul très tôt.

Seras-tu la première géolienne astronaute ?

 

Je n’ai pas toujours rêvé d’être astronaute. Comme je l’ai dit plus haut, je préférais les fossiles et les reliques d’anciennes civilisations. Mais depuis que j’ai commencé à travailler sur la Lune, j’ai développé ce rêve un peu fou d’y aller moi-même. Il n’y a eu qu’un seul géologue sur la Lune, durant le programme Apollo : Harrison Schmitt ! C’est trop peu. Son expertise s’est montrée plus que cruciale puisqu’il a rapporté des échantillons très précieux que les autres astronautes n’auraient peut-être pas distingué. Lors de l’International Astronautical Conference à Dubai en 2021, à laquelle j’étais dans le cadre de ma thèse et pour présenter des travaux annexes de sélection de sites lunaires, j’ai eu la chance d’assister à une table ronde avec Jessica Meir, une astronaute de la NASA. À un moment donné, elle a insisté sur le fait que pour le programme Artemis et pour retourner sur la Lune, nous allions avoir besoin de géologues. Tous ces éléments s’additionnent et je me dis que ce rêve fou pourrait être touché du doigt. Je ne sais pas, en tout cas je vais tout faire pour. C’était l’une de mes motivations pour intégrer le SSP. J’y ai rencontré Soyeon-Yi, qui nous a parlé durant toute une soirée de son expérience de la sélection d’astronaute et sa vie dans l’ISS. En tant que femme notamment, c’est important d’avoir ce genre de modèles. C’était très inspirant et m’a montré que c’était peut-être possible après tout. Même si je n’atteins pas ce but, je serais ravie de continuer à travailler en planétologie et dans tout ce qui est relié au spatial. Je pense que la priorité n’est pas forcément de devenir astronaute, mais déjà d’envoyer d’autres robots à la surface de la Lune ! Et pour ça, je suis déjà impliquée dans l’équipe scientifique de l’Emirates Lunar Mission, qui est prévue pour 2023. Être impliquée dans une telle mission si jeune et si tôt, c’est un honneur. Tout ça n’aurait pas été possible sans ce fameux Mardi de Géol avec Jessica Flahaut. 😊 Dans un premier temps, je veux surtout finir ma thèse et travailler dans le plus de laboratoires différents dans le monde afin de me diversifier et de contribuer du mieux que je peux à la recherche scientifique dans le spatial (et aussi comment l’appliquer aux problématiques sur Terre !). Le reste, on verra plus tard, mais je ne perds pas de vue ce que je vise… 😉

Interview réalisée par écrit en août 2022.




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